vendredi 4 novembre 2011

Mon 'dégolfage'

Petit récit extrait de mon journal de bord, mon expérience de notre traversée France - Espagne

Mardi 18 octobre 2011


« Parés à larguer ?
- Parés !
- Larguez ! »




15h30. Nous regardons Concarneau s'éloigner. Derniers coups de fil à la famille et aux amis jusqu'à épuisement de la batterie et des envies.
Nous avons discuté à plusieurs reprises de notre organisation pour cette traversée et avons conclu la suivante : nous ferons des quarts de 2 heures chacun et Max sera hors-quart car toujours en veille et disponible si difficulté, doute, et, de manière générale pour encadrer l'équipage et assurer la navigation. C'est le capitaine.

16h. Mise en place des quarts. Cha, étant à la barre depuis le départ, c'est lui qui assurera le premier, puis moi, puis ChaCha. Mes quarts à venir sont donc : 18h - 20h / 00h - 02h / 06h – 08h.
Comme il est bien de se retrouver tous les quatre au moins une fois par jour, nous avons décidé qu'entre midi et quatorze heure, ce sera un peu le quart du capitaine et notre pause déjeuner commune.
J'envoie encore quelques messages et poste sur le blog depuis mon téléphone. Je m'allonge une demi-heure avant de prendre mon premier quart.

18h. Je prends la barre. Cha prépare à manger. Un mug de soupe pour moi, un bout du cake aux knackis préparé par ChaCha ce matin et un petit morceau de fromage. En bateau on mange léger mais souvent. A la fin de mon premier quart, j'écris une ligne dans le journal de bord et je marque notre position sur la carte en faisant un point au crayon grâce aux coordonnées GPS. Max est pour l'instant toujours éveillé et encadre nos quarts. Je vais me coucher. J'ai programmé un réveil sur ma montre pour Cha, qui n'en a pas. Il me réveillera à son tour une demi-heure avant la fin de son quart et le début du mien.

23h35. Max vient me réveiller et me tend la montre. Je replace mon bras sous le duvet. J'ai froid et pas du tout envie de sortir de ce nid douillet. Je profite encore quelques instants de la chaleur, tout en regardant l'heure. Il faut que je m'habille, que j'aille pisser, que je mange et que je m'équipe. Il me reste à présent moins de 20 minutes pour être opérationnelle. Je sors difficilement de mon duvet. 23h43. J'enfile mon pantalon au dessus du collant avec lequel je dormais. Je sors un t-shirt à manches longues pour ajouter une couche supplémentaire. Pour cela je dois d'abord ôter la polaire que j'ai sur le dos, me trouver grelotante, en débardeur, pour rempiler les épaisseurs. J'ai froid. J'abandonne également la petite paire de chaussettes que je porte pour une plus chaude. J'enfile mes baskets. 23h47. J'ouvre les vannes pour faire pipi. Je pompe, je pompe, je pompe. Je referme les vannes. 23h49. Je me dirige vers la glacière. Son odeur m'écœure et j'y prends les premiers aliments que j'y trouve et qui me donne envie : du colescaw et du jambon ainsi qu'une cannette de coca que je partagerai avec mon capitaine. Je me fais un petit sandwich. Je range et commence à manger. 23h54. Il pleut dehors, il faut que je mette ma salopette, et bien sûr mon ciré et mon harnais. Je n'ai vraiment pas envie d'y aller, mais je pense à mon capitaine, qui n'est pas prêt de se reposer. J'me dis aussi qu'il n'est que minuit, et qu'en général, je n'suis jamais couchée à cette heure-là. Pendant tout mon quart Max est à mes côtés. Il fera une micro-sieste, sous la petite pluie fraiche. Il fait froid, ou pas, en tout cas il pleut. C'n'est pas une partie de plaisir. ChaCha se lève pour la relève, je fais un point sur la carte, j'écris une ligne dans le journal de bord. Heure, cap compas, total log, événement, allure, vent, position, origine position, sonde, visibilité, nuages, baromètre, courant. Il est 2h passé, je viens me glisser dans la couchette avant du bateau et me déshabille. Heureusement ma petite bouillotte préférée est là. Je lui programme un réveil pour son quart et rejoint le pays des rêves.

Mercredi 19 octobre. 5h41. 'bip-bip, bip-bip, bip-bip'. Ma montre m'indique qu'il est l'heure de sortir de ce nid douillet. Encore une fois c'est dure. Il fait encore nuit mais il ne pleut plus. Je barre, je barre. Tout se passe bien et j'me dis que le capitaine, qui est parti s'allonger dans la couchette arrière, en dessous du cockpit, va pouvoir peut être enfin fermer l'œil. Je suis contente pour lui. Il ne se plaint pas mais on sait tous qu'il est fatigué. Tout se passe bien donc, jusqu'à ce que Sirius parte au lof et le compas passe de 210 à 270 en un rien de temps ! Montée d'adrénaline, je flippe et 'toc-toc-toc' sur le cockpit (c'est le mot de passe pour appeler le capitaine). Rien de grave, le vent tourne. Je suis navrée pour Max qui se reposait un peu, enfin... Il dormira en journée, je l'espère.

Vers midi je m'éveille, Cha m'invite à venir déjeuner. C'est notre pause tous les 4. Le repas n'est pas copieux mais requinquant. Des œufs sur le plat, du jambon, du fromage et du pain. Max assure la navigation, et grâce à Simbad, notre pilote automatique, nous sommes plus tranquilles. Mes prochains quarts : 14h – 16h / 20h – 22h / 02h – 04h / 08 – 10h.

En début d'après-midi c'est posé, le pilote auto, le soleil. Les autres équipiers se reposent. Vers 16h nous envoyons un texto, depuis notre téléphone satellite, au père de Max pour indiquer notre position après 24 heures. Bernard relaiera l'info sur la liste de diffusion des familles et ma Caro postera sur les blogs. Je bouquine un peu et me rendort. Ce rythme est étrange mais on s'y fait. Les actions s'enchainent, les gestes se répètent, les heures défilent. On dort, on mange, on barre, on fait la nav, on pisse, on s'déshabille, on s'rhabille, on boit, on se croise. Heureusement, les points sur la carte nous permettent de constater notre avancement. Nous avons estimé qu'à cette allure, nous atteindrons la Corogne en 2 jours et demi, mais rien est sûre, c'est l'bateau, l'im-pré-vi-sible...

Avant de prendre mon quart '20h-22h', je me prépare à manger : du riz (cuit hier avant de partir) et une tranche de jambon. J'ai aussi fait cuir deux œufs dures. J'ai moyennement faim et mets mon bol de côté après y avoir très peu touché. RAS, une ligne, un point, dodo.

Jeudi 20 octobre. Le quart '02h – 04h' s'annonce hardu ! Le vent a molli, on est au moteur et Max m'annonce que nous y resterons pendant au moins tout mon quart. Le capitaine part se coucher. Avec Simbad, ce tour-ci s'annonce finalement plus tranquille que je ne l'imaginais. C'est la nuit noire. Heureusement la lune est là et éclaire l'horizon. J'ai pris ma lampe frontale pour bouquiner un peu. Ambiance dark. Bercée par le ronronnement du moteur, j'entame le chapitre 'Les limons des cuisines marines' du Vagabond Solitaire de Kerouac, que m'a offert Cécile avant de partir. Le narrateur y raconte son expérience de petite main, employé sur un cargo au large de San Francisco, dans un décor sombre et glauque.
Ce que j'vis là je suis seule à le vivre, vraiment seule. Autour de moi tout est noir, aucune autre lumière à l'horizon que la lune. Sirius vogue dans la nuit. Je n'ai pas peur, je suis saisie par l'instant. Je tente quelques photos pour le capturer d'autant plus. Quart inoubliable.

Toujours à la suite de Cha, je prends le quart suivant, il est 8 heures. Le vent est capricieux, Cha me prévient de faire attention à l'empannage. Pendant 2 heures je suis obnubilée par ma voile. Je finis par empanner...

Je m'éveille grâce à la douce et bonne odeur de cuisine qui flotte dans le bateau. J'ai faim et c'est l'heure de notre repas. Max au fourneau : fajitas de nuggets. Mmmm ! On se régale. Je n'ai pas autant et aussi bien mangé depuis qu'on a quitté la côte, il y a maintenant presque 48 heures. Deuxième texto à la famille. Nous recevons quelques textos envoyés la veille par nos oncles et papas navigateurs. Pourtant, toujours pas de nouvelles de Bernard qui devait nous envoyer la météo ce matin. Nous lui renvoyons un texto. Le téléphone sonne !!! C'est lui. Il nous a pourtant répondu plusieurs fois et transmis la météo. Nous réalisons plus tard qu'il faut laisser l'Isat Phone antenne déployée un certain temps pour recevoir...

16h. Un autre quart. Tout le monde est couché. Vers 16h30 je crois distinguer une forme à l'horizon qui n'est pas un nuage. Je tiens mon cap, et, à bâbord toujours cette forme plus sombre. Ça y est, j'en suis sûre : TERRE EN VUE ! J'ai envie de le crier haut et fort mais les autres dorment. Je patiente, sourire aux lèvres. Le vent souffle et je fais mon record de vitesse : 9.6 au speedo.

22h. C'est mon quart, le vent est toujours bien présent. Ça envoie la sauce ! Je prends la barre. Cha et Max à mes côtés dans le cockpit. Grosses montées d'adrénaline en surfant sur les vagues, avec des pointes à 9 nœuds. Je ne suis pas des plus à l'aise et manque de pratique. Je laisse la barre à Cha qui accepte de s'y coller. Le ciel est magnifique. Des tas d'étoiles. La côte de plus en plus grosse à l'horizon, des lumières au loin. On discute, on est bien. Je fais un pari stupide avec Cha sur les paroles de 'Enjoy the silence'. Si je perds, à moi la grosse vaisselle. Toute notre vaisselle d'aujourd'hui. Max insère un disque dans l'auto-r.. euh la 'bateau-radio' et, grâce au haut-parleur situé dans le cockpit, la version de Moriarty résonne dans le vent. J'ai perdu mon pari. On écoute tout l'album sous le ciel étoilé de l'Espagne, si proche. Vers 1h30 je vais me couchée, je suis claquée. Cha est toujours à la barre, il assure. Je l'entraperçois une heure après qui se couche à mes côtés, tout naze. ChaCha a prit son quart en décalé, elle n'est pas très bien. A 3h30 je m'extirpe d'un profond sommeil entamé, pour prendre le relais. ChaCha n'est vraiment pas bien. La côte est bien plus proche mais on est encore loin de la marina. Une pomme, un coca. Je suis les instructions de mon capitaine qui effectue la nav avec mon petit ordi, sur un logiciel libre de navigation. Nous n'avons pas de carte détaillée (papier) de Coruña. La Tour d'Hercule se rapproche et beaucoup d'autres lumières. C'est dure de distinguer les lumières de la côte de celles des bouées rouge et verte qui nous indiquent la route. Certaines s'avèrent être des bateaux. Des pêcheurs à cette heure-ci. Il est 5 heures. ChaCha à nouveau au taquet. Je tente de réveiller Cha pensant qu'il souhaiterait être là pour l'arrivée. Il s'en fout, il est crevé, il veut juste dormir. Il a barré pendant 6 heures d'affilée...

Après la digue nous arrivons à l'entrée de la Marina Coruña. On ne voit pas grand chose. La marina est récente et nous n'avons aucun détail sur le Bloc Marine. Open CPN n'est pas à jour non plus. Une rouge et une verte nous indique où entrer. A tribord des pontons, vides. Des mouettes. Des tas. Elles ont envahies le ponton sur lequel nous voulions amarrer. Elles sont là, partout, immobiles et silencieuses dans la nuit. Et si elles ne bougent pas lorsqu'on sautera sur le cat-way ?!!! On s'amarrera sur le ponton à bâbord.

Amarrage en douceur après 62 heures de navigation et environ 340 milles nautiques parcourus.
Viva España !

4 commentaires:

  1. C'est merveilleux et très touchant même si pas facile tous les jours.
    Tu pourras écrire un livre ou une nouvelle à ton retour.
    Chapeau la navigatrice et chapeau à tout l'équipage aussi.
    On pense tellement à vous.
    Maman Talar

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  2. sympa ce petit recit, ca m'a bien plongé dedans...

    Des bisous mes mouss préférés !!

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  3. on avait deja plaisir à suivre votre trip mais là on a l impression d etre avec vous derriere la barre...merci de partager ça avec nous,bien à tous,la bise. ps:j prefere la version originale de depeche mod;). le capitaine Stubing

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  4. T une vraie "écrivaine" ma poulette ;-) ca m'a fait plisir de partager ce ptit moment avec vous! plein de biz et du courage pr prochains les réveils nocturnes glaciaux... à bientôt, Del

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